Ce matin, je sentais un désir profond de rendre hommage à la Vie, dans ce qu’elle a d’unique et de multiple. Où était la vie au tout début du monde, et où nous mènera-t-elle. ? Ces deux termes sont à l’antipode et pourtant ils se confondent pour n’en former qu’un. Seule la Vie semble apte à proposer ce type de merveilles.
J’aime la Vie, pour ce qu’elle me fait vivre, soit en me gratifiant soit en me frustrant, comme si elle voulait m’orienter vers un plus grand bien. Non, j’aime la Vie d’abord pour elle-même, pour ce qu’elle est en son fond insaisissable, et pour ce qu’elle porte en elle de majesté, de tranquille visible, palpable, saisissable.
La Vie est partout, en tout et en soi d’abord, car je peux la rendre consciente, la voir exister en moi et à travers moi. Lui témoigner ma gratitude. Car même dans la mort, il y a de la Vie dedans. Elle participe à tout, étale sa grandeur et sa modestie, sans se laisser voir. Elle est présente dans son absence, on ne peut l’empoigner, la mettre en pot ni en cage. Elle nargue les puissants et protège les humbles : voile sa liberté, et cache ses ailes, pour mieux voyager incognito.
La Vie réveille ce qui dort, soulève la sève de l’érable au printemps. Elle stimule l’amour dans le cœur de l’humain. Elle se tient aussi bien dans un grain de blé que dans le soleil et ses rayons. Elle stimule et réchauffe la fleur dans le bulbe, elle devient parfum. Elle est l’épicentre de l’âme cachée au fond de l’humain. La Vie, plus on croit la connaître, plus elle nous échappe. Bref, elle est présente en tout, elle surgit de tout ce qui est vivant : elle est simplement. Quelle grandeur, quelle candeur !
Elle se plait à faire surgir des choses et des êtres la beauté : l’immortalité. Elle s’ouvre, se laisse féconder par l’être humain, pour mieux engendrer et se multiplier. Elle improvise, se fait à la fois obstacle et solution, élève et grandit tout. Elle crée : telle est sa mission, sa passion. Elle habite ici, mais vient d’ailleurs, cet ailleurs qu’elle porte en permanence, qu’elle nous invite inlassablement à partager. Il suffit d’y croire.
La vie, personne ne l’a vu, pourtant elle se montre vierge fécondable et humaine, tous les jours. Elle se présente sous l’aspect d’une manne. Elle nous sollicite. Elle espère être cueillie. Elle est immense dans sa délicatesse et souple dans son intégration. Elle se confond en puissance et en simplicité, se met à la portée de tout un chacun.
Elle est le Dieu que je vénère. Car si Dieu existe il ne peut pas, ne pas être la Vie pour que nous vivions et que nous vivions en abondance. Jésus dit je suis la vie, c’est-à-dire ce qui ne meure pas.
Créer, se créer, c’est ajouter de l’être à son être. C’est se dépasser. Telle est la vocation première de chacun : être plus. Un individu qui se dit ou se croit « normal, bien portant » sait et sent quand il est dépassé par la « vie ». À moins qu’il relève le défi de se surpasser, d’aller plus loin, plus haut, vers la cime, dans l’espoir de se découvrir, de s’inventer. De là il sera poussé et attiré vers la plénitude, vers ce besoin de « totalité » qui est en attente de lui. C’est l’éveil. La satisfaction d’être quelqu’un : d’être humain.
Notre dessin représente le cosmos enveloppé, emmuré dans un grand cercle. Le petit cercle semble perdu en son centre. Il incarne l’infiniment petit devant l’infiniment grand. Comme le gland et le chêne, le bulbe et la fleur, la goutte d’eau et l’océan. Contrairement au grain de sénevé qui s’ouvre et rejoint sa grandeur : sa destinée. Cette image symbolise l’esprit et le corps. En nous rappelant que le début et la fin sont toujours un.
Créer, donc, c’est faire naître ce qui n’est pas encore. C’est parfaire quelque chose en soi et agrandir le monde. C’est enrichir, faire croître, élever, c’est maturer et murir. C’est avoir trouvé la porte oubliée et en même temps découvrir pourquoi on a reçu la vie gratuitement. C‘est pouvoir se perdre dans la continuité, la durée, et persévérer jusqu’à l’arrivée : l’atteinte du but, l’ultime voyage. Mais pour y parvenir, il faut au départ un désir conscient, ardent. Il faut aussi une lassitude, une séparation acceptée: il faut un espoir et un amour cachés qui fleurissent et triomphent.
Au centre du grand cercle, le petit cercle représente l’individu et son vide, ses manques, entourés de trois cercles concentriques. 1. Les autres, l’environnement. 2. Le cosmos. 3. L’infinité. En somme, le petit cercle se perd dans le grand. Et le grand cercle se voit conditionné par le petit, de telle sorte que l’un n’est rien sans l’autre : harmonisé donc.
Prenez six bulbes, plantez-en trois et placez les trois autres sur une tablette. Les premières vont produire des fleurs, se reproduire et se multiplier naturellement sans cesse. Les trois autres vont sécher. La morale de cette histoire est simple : tout être vivant qui ne se développe pas périt. L’humain n’échappe pas à cette règle implacable, éternelle.
C’est la finitude humaine qui mène à la plénitude. C’est la plénitude qui tire la finitude humaine vers elle, en esprit du moins. Et l’esprit nous rend libres. Par lui nous savons qui nous sommes.
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Créer c’est en quelque sorte donner la vie à quelque chose d’emmuré en soi. C’est faire être. Ce soir, j’ai un désir irrésistible de rendre témoignage, hommage à la vie, et lui dire ma gratitude, du seul fait qu’elle existe quelque part en moi. Je ne la vois pas, mais je sais qu’elle me porte, me supporte et me transporte. La finitude, la fragilité, les limites humaines font partie d’elle, elles sont vies aussi. La vie guide vers la plénitude. C’est ce qu’elle est en réalité. C’est par la vie et uniquement par elle, à cause d’elle, que l’homme peut se dépasser et créer.
Créer délivre de la souffrance, du doute, et montre une réalité belle. Créer, en avoir seulement le désir, c’est pouvoir. Pouvoir c’est encore apprécier la vie dans ses multiples dons et cheminements. Seul l’homme crée. Créer c’est plus que voir : c’est transformer. C’est partir de soi et découvrir l’inspiration et l’intériorité. Créer implique toujours le dépassement de soi, c’est toujours un plus.
Créer émane d’un besoin, d’un manque à combler. C’est un cri du cœur, un espoir pour l’âme, un baume pour le corps. C’est précisément pour nous retrouver et devenir soi que nous sommes appelés à créer. Se créer soi-même par soi-même d’abord comme entité unique, personnalisée. Une des grandeurs de l’homme se trouve aussi dans la passion de vivre et de penser et d’agir par soi-même. C’est être autrement. C’est découvrir le neuf qui nous habite. On crée pour sortir de sa solitude, pour se mettre au monde et crier sa joie, sa solidarité à l’autre qui vit aussi bien en soi que hors de soi.
L’acte de création transforme le négatif en positif, l’échec en réussite, l’ombre en lumière. Il donne un but, un sens à sa vie nouvelle, qui, sorti de soi, forme sous nos pas, un demain embellit, par l’effort consenti, au goût de sensation et de sentiments indéfinissables, palpables que l’on ne peut enfermer, sans les faire mourir.
Créer est un art qui ne copie pas le visible ; mais rend visible, transparent et cause un choc en retour. Créer, au fond, c’est se donner quelque chose d’unique à soi-même que l’on ne pourrait pas se procurer autrement. Créer c’est la passion de Dieu.
À bientôt.